Je crois ce que je like.
Avec une telle quantité d’images, il semble impossible au cerveau humain de tout analyser, de trier, et de permettre au libre arbitre d’opérer pour se faire sa propre opinion.
C’est une course à la charge émotionnelle : plus l’impact est fort, plus la séquence est courte et répétée, plus le post fait réagir et en chasse rapidement un autre. Un chat mignon : je like, un enfant réfugié ensanglanté : je like. En quelques secondes, je passe du potache au tragique.
Les marques comme les gouvernements gèrent désormais l’essentiel de leur image via des messages courts, des stéréotypes facilement assimilables et diffusables en masse, en sachant très bien que peu d’individus iront plonger sous l’iceberg pour juger du volume de la glace. En cas de problème, il suffira d’attendre qu’une nouvelle couche d’information remplace l’ancienne : en 2016, on oublie vite.
Un monde qui rétrécit.
La terre est scrutée en permanence, cartographiée par des satellites, photographiée par des avions, des drones, des voitures, ou des humains, et ses clichés sont ensuite diffusés par des interfaces, des hashtags, des moteurs de recherche, des murs d’images. Ainsi, le sentiment de proximité, et parfois d’empathie, devient considérablement amplifié. On vit une guerre, un attentat, une révolution, tout comme un concert ou un tournoi olympique. Et on confie sa mémoire à un disque dur ou à une carte mémoire, on devient spectateur-acteur-voyeur, le temps de quelques secondes.
Si proches du pire.
Dans STREET REVIEW, le plasticien dénonce l’image, dénonce le pouvoir de l’image et souligne la proximité avec des situations tragiques dont nous sommes que des spectateurs passifs : liberté d’expression bafouée, privation de droits, régimes autoritaires, censures. Qu’ils soient à l’autre bout du monde ou à moins de 3 h de vol, on emprisonne, torture ou supprime des individus qui gênent le pouvoir. Pourtant, on « sait », on voit les images via les réseaux, on condamne forcément, mais on n’agit pas pour autant. Il semble que notre double virtuel soit figé, léthargique devant l’écran, seuls les yeux et la main du clic bougent. L’émotion dure quelques secondes et puis s’en va.
Au mieux, on soulage sa conscience par un commentaire laconique, voire un partage, et puis l’actualité de la « timeline » s’apparente à une chasse d’eau.
Merci Google.
Pour ce projet, le plasticien Antony Squizzato utilise des images d’ambassades de pays qui bafouent les droits de l’homme et les libertés individuelles. Après de nombreuses nuits de recherche dans les rues des capitales, scrutant l’architecture des ambassades ciblées, il capture ses images sources dans Google Street View, puis utilise ses compétences de pirate retoucheur photo acquises pendant sa vie de publicitaire pour trouver le bon angle, nettoyer les défauts, enlever les protections « watermarks », corriger les couleurs, et finalement projeter de façon réaliste une de ses créations sur la façade des bâtiments, donnant l’illusion que la fresque murale est bel et bien présente.
Des personnages enlacés.
Sur chaque fresque, l’artiste représente deux personnages enlacés, plutôt que d’inscrire une critique politique revendicatrice – comme le font certains pochoiristes – il se réfugie dans la métaphore, et ainsi suggère une interrogation plutôt qu’une expression directe de la situation dénoncée.
D’un côté on trouvera des couleurs vives en aplats, des formes minimalistes, des visages qui se regardent et des mains qui se touchent, et d’un autre côté la présence de caméras de surveillance, de grilles, de gardes, de SAS d’entrée, de fils barbelés. Trois mondes opposés s’intègrent pourtant dans une certaine harmonie : pays accueillant (architecture, véhicules, commerces, personnes déambulant), pays de l’ambassade (drapeaux et architecture plus ou moins intégrée), et fresque de l’artiste.
Je crois ce que je vois.
Ces ambassades, pour la plupart situées dans des capitales occidentales, sont-elles le trait d’union physique entre démocraties et systèmes autoritaires ?
Une fois compressées et réduites pour être affichées sur les réseaux sociaux, puis téléchargées sur la « timeline » de chacun, l’effet de réalisme est décuplé. On se retrouve piégé par notre propre naïveté de voyeurs passifs, ignares et pressés : on aura cru, pour quelques secondes ou définitivement, que la République islamique d’Iran ou la République populaire démocratique de Corée a demandé à un artiste de réaliser la fresque d’un homme et une femme qui s’embrassent sur la devanture de leur ambassade, sous le drapeau et le regard bienveillant des gardes et caméras de sécurité.
Et si c’était vrai…?